BoraBora- Vava’u, Tonga

9 nuits de mer, soit près de 1’309 milles


Première nuit
Nuit du 11 au 12 juin – 97 milles au compteur
Position à minuit: 16°53’83 S – 153°23’13 W
Position à 4 heures: 16°59’41 S – 153°52’ 53 W
Soit 29 milles de parcouru

Comment je me sens à minuit? Toute toute toute petite….un pois chiche dans une boîte que l’on secoue pour qu’il sorte…sauf qu’il s’accroche! Le vent, les vagues et la forte houle font danser Viramundo qui se tortille et se fait soulever par des tonnes de flotte, telle une plume dans un jacuzzi. Alors, le pois chiche a intérêt à se cramponner s’il ne veut pas rouler ou se faire éjecter!
La nuit est belle. Une demie Lune donne une clarté rassurante malgré les presque vingt cinq noeuds de vent constant. Mais cette mer un peu trop formée nous prend vraiment pour une carpette bien emmiettée qu’elle soulève pour en éliminer les miettes. En plus, elle donne de forts coups de fouet sous les coques, une salve de grondements résonne…les plaintes de Viramundo!
Pour une première nuit en mer après tant de moments fabuleux terrestres, ce n’est pas tout rose! C’est carrément noir! En plus, on vient de m’éteindre ma lumière, un gros nuage cache maintenant la Lune et le vent se permet de grimper encore de quelques noeuds juste pour aiguiser mon angoisse!!!
À observer l’environnement, cet océan puissamment vivant, ce vent libre et indomptable et cette immensité aquatique, désertique et obscure, je me demande vraiment ce que nous faisons là, au milieu de rien! Un monde sauvage et inhospitalier! Et dire qu’à vingt cinq milles, sur la carte, l’atoll de Maupiti, appartenant aux Iles-sous- le – Vent abrite naturellement des âmes!
Comment vivre sur ce petit bout de terre si isolé et dépendant des éléments? Pourtant, j’imagine l’île de rêve…cocotiers, eau cristalline, sable blond…, mais quelle lutte pour survivre !
Sur notre petit bout de plastique…oh, comment je traite Viramundo…au moins, nous avançons vers d’autres horizons, notre lutte, si « lutte » il y a, est de courte durée….quoique…
Bon, de toute façon, cette nuit, je crois que j’aurai de la difficulté à faire taire mon angoisse. Et la Lune descend gentiment à l’horizon tout en perdant de son intensité… Je termine mon quart dans la nuit noire, bruyante et constellée d’étoiles! C’est magnifique. Mais….vive le jour dans un lagon bien plat!

Deuxième nuit
Nuit du 12 au 13 juin – 263 milles au compteur
Position à minuit: 17°20’26 S – 156°13’29 W
Position à quatre heures: 17°22’83 S – 156°43’30 W
Soit 29 milles de parcouru

Ce n’est que la deuxième nuit! Pourtant, mon corps est déjà fourbu et endolori par les mouvements constants qu’il doit fournir pour maintenir son équilibre où que je sois sur Viramundo, mis à part, peut-être , en position couchée. Ça, c’est le physique!
Question moral, c’est autre chose…et c’est le plus important! C’est lui qui maintient mon équilibre en fait. Et comme il est fortement influencé par la météo, je n’imagine pas dans quel état il est cette nuit!
L’anémomètre indique des forces de vent de 25 à 32 noeuds. Viramundo glisse, surfe, toutes structures tendues sur une mer forte qui, avec ses gros talus, propulse nos coques, puis passe par dessous en moussant dans un bruit de trombe d’eau….. Le ciel a toutes les nuances de gris. Aucune étoile n’a de chance de briller. Heureusement , la Lune, elle, y croit et diffuse sa clarté à travers la couche nuageuse.
Alors, le moral? Couleur du temps!
Où sont donc les bleus du lagon? Effacés…. Le Pacifique montre qu’il est comme les autres océans! Pas si pacifique! Trente noeuds de vent suffisent à l’exciter, à soulever sa masse sombre, à oublier ses turquoises et à nous prendre pour un joujou! Bon, cela nous fait gagner des milles. Les Tonga sont encore à plus de 1’000 milles….il y a donc de l’eau à courir…et quelques quarts à tenir…. Courage! Au moment d’écrire ça, la Lune sort quelques secondes entre des nuages bien opaques, bien noirs.
Si c’est pas un signe ça! Alors laisse-toi glisser avec Viramundo et traverse ces turbulences! Les Tonga sont au bout du chemin!

Troisième nuit
Nuit du 13 au 14 juin – 412 milles au compteur
Position à minuit: 17°35’38 S – 158°46’33 W
Position à quatre heures : 17°41’55 S – 159°07’94 W
Soit 22 milles de parcouru

Sérénité, quand te retrouverai-je?
Bon, si je regarde dehors, à minuit vingt, ça semble aller mieux par rapport à hier soir! On a essuyé un interminable grain venteux et pluvieux. Le captain peut enfin se reposer. On avance à la voile, vent arrière, la grand voile à deux ris et le génois en ciseaux à plus de six noeuds. Le ciel est couvert, la Lune fai son boulot à travers la couche nuageuse. Je vois où l’on va ….que demander de plus? Que cela dure ….juste quelques heures….
Pourtant, c’est la boule au ventre, que je regarde mes instruments, que je scrute le ciel, que je réduis le génois. Le vent monte, change de direction, le ciel a de grosses taches sombres à l’arrière, je crains le coup de vent et le grain. Je modifie le cap afin de ne pas empanner la grand voile….bis repetita…..air connu…même topo que hier soir, sauf que le captain dort et je vais gérer seule cette situation!
Sérénité, quand te retrouverai- je?
Je ne regarde même plus s’il y a des feux sur l’eau signalant la présence d’un bateau! Même si c’est peu probable, j’aime vérifier l’horizon. Qui serait assez fou pour naviguer dans cet immense champ de vagues et sous ces nuages menaçants? Et si loin des côtes? Le ciel semble s’éclaircir, pourtant le vent ne baisse pas. Viramundo surfe sur les talus que les 27 noeuds de vent soulèvent…tiens bon le cap! Quand ce ciel va-t- il se purifier?
Sérénité,quand te retrouverai-je?
Ah, enfin! L’alizé essuie petit à petit l’humidité ambiante. La Lune est libérée de ses voiles! Quelques étoiles apparaissent. Comme ces points lumineux font du bien à l’énergie! De vrais soleils !
Et c’est sereinement que je regarde si, par hasard, j’apercevrais un feu de bateau à l ’horizon.
Toujours aucune âme qui vive! Seuls sur l’eau! Seule avec moi….je ne veux pas réveiller le captain, il a vraiment besoin de dormir…. Et moi, j’ai besoin de son aide pour empanner la grand voile, le vent n’est vraiment plus en notre faveur avec cette voilure……
Sérénité, quand te retrouverai- je?
Encore une demie heure de dodo, captain!

Quatrième nuit
Nuit du 14 au 15 juin – 536 milles au compteur
Position à minuit: 17°45’74 S – 160°52’38 W
Position à quatre heures: 17°46’67 S – 161°12’06 W
Soit 18 milles de parcouru….oh,oh! Petite nuit….

Nuit splendide! Sur une mer peu agitée, sous un ciel complètement dégagé, avec la compagnie d’une Lune bientôt pleine et bienveillante, nous glissons harmonieusement sur un tapis ondoyant. C’est la grand voile et le génois en ciseaux qui nous propulsent à l’aide d’ un vent d’une douzaine de noeuds, tout cela avec comme tableau une Croix du Sud bien nette sur babord.
Alors, je plane, je rêve, je suis en suspension….dans ma bulle.
Peut-être que j’avais oublié cet étrange sentiment que procure une traversée un peu conséquente! Cette impression que le temps s’arrête, que nous vivons entre parenthèses. C’est comme si ces jours en mer étaient ajoutés en post scriptum à une page de notre vie. Avant de larguer la bouée, nous jouissons pleinement de la vie à terre avec des restaus, des courses dans les magasins, des marches dans la nature, des activités parmi et avec les humains. Il y a les bruits, les odeurs, l’animation…la vie quoi!
Puis, dès les premiers moments de navigation, nous nous éloignons vite, et, forcément , nous nous retrouvons isolés, dans notre cocon. Il y a bien un immense jardin autour de nous, mais nous n’y avons pas accès …à pied.
Nous restons dans notre bulle Le contact physique avec la terre et les terriens est coupé, nous flottons dans notre petite cabane. La terre est un autre monde. Nous sommes seuls au milieu de cette immensité marine. Nos préoccupations tournent alors principalement autour de la météo, vent, mer, ciel, de la bonne marche de Viramundo en fonction de ces éléments, du soin du matériel duquel nous dépendons, de notre confort personnel, la faim, la soif, le bien-être dans n’importe quelles circonstances. Tout est centré sur le moment présent, sur l’observation de l’environnement, sur les bruits qui nous entourent et, évidemment, sur ces nombreux écrans qui nous permettent de nous situer sur le globe terrestre. A côté de la navigation, nous rythmons notre vie à bord avec les repas, les lectures, la musique, la toilette…. Nous créons notre petit univers comme un Bernard l’ Hermite. En quelque sorte, nous sommes en suspension…en attente de poursuivre notre histoire en dehors de notre coquille sur une autre page, sur une nouvelle terre à découvrir. Ainsi, selon les moments, cet « entracte » marine paraît intense, parfois, interminable et éprouvant, d’autres fois, angoissant, intéressant et dense. Cela permet en tout cas de s’éloigner des préoccupations matérialistes, de se concentrer un peu plus sur notre essentiel et de vivre le moment présent…dans notre bulle protectrice.
Il y a l’avant, la traversée en mer, une parenthèse particulière , et l’après.

Cinquième nuit
Nuit du 15 au 16 juin – 660 milles au compteur, on a passé la moitié du trajet!
A une douzaine de milles au nord de l’île Palmerston que l’on ne voit pas…

Position à minuit: 17°50’22 S – 163°03’47 W
Position à quatre heures: 17°54’86 S – 163°25’82 W
Soit 23 milles de parcouru

Bon, c’est bien mal parti!
Déjà au lever, à 23 heures 30, j’avais de la difficulté à poser les pieds par terre, ils étaient tout endoloris. Et, au moment de relayer le captain, j’ai vu dans notre arrière un grain se former, confirmé au radar, dans un ciel bien nuageux. Le vent avait nettement tendance à monter. La pluie s’est mise à tomber finement. La voilure du moment me paraissait un peu trop généreuse pour les vingt noeuds de vent qui se profilaient.
Alerte! Le captain était déjà bien installé dans sa couchette en train de décompresser et de se laisser glisser dans les bras de Morphée…la veinarde…!!! Il est revenu courageusement au renfort….sous la pluie….m’aider à réduire la toile.
Petit apparté! Quand on achète un bateau, on nous montre évidemment tous les bons côtés du produit. Sur le catalogue, par exemple, la prise de ris est facilitée par le fait que les bouts reviennent au cockpit, ou encore, par vent arrière, la grand voile s’ouvre sur un bord avec un système d’écoutes que l’on déplace….. « ainsi, vous n’avez pas de problème, là voile est bien retenue »….
Génial, on achète! Seulement, dans la vraie vie, en mer, cela s’avère presque toujours plus compliqué et beaucoup moins facile que sur le papier. En l’occurrence, la manœuvre pour prendre un ris par vent arrière consiste à effectuer une suite de gestes avant de pouvoir réellement réduire la voile. Quant à la réduction elle-même, les bouts ne sont pas toujours d’accord de coulisser aisément et correctement, ce qui complique l’histoire et demande de l’huile de coude…entre autres! Mais ça! Le vendeur ne nous le vante pas !
Fin de l’apparté!
Donc, le Captain a joué les prolongations, et le moussaillon a utilisé sa musculature bravement en oubliant ses petits bobos et son envie de dormir. Et, quand la manœuvre s’est terminée, que la voilure a perdu quelques mètres carrés, Eole nous a fait un pied de nez et il n’a laissé qu’un filet de souffle. Du coup, deux possibilités, soit on accepte de ne plus trop avancer , soit on recommence le jeu des ris afin de relâcher celui qu’on vient de prendre! Pour la sérénité du captain et qu’il puisse se reposer, pour la sérénité du moussaillon de quart à l’affût des grains à venir, nous acceptons de ralentir l’avance de Viramundo sans manœuvrer une nouvelle fois.
Oh, comme dit le captain, on ne peut pas gagner à tous les coups! Bon repos tout de même Captain!
Eh, eh !!! Pourtant, peu de temps après, le ciel instable n’a pas fini de « fumer » et de perturber le vent. C’est à plus de vingt noeuds, parfois même vingt cinq, que le vent nous fait avancer plus qu’espéré! Gagné Captain!
Tu dors et on avance très bien seulement avec une grand voile à deux ris!!!

Sixième nuit
Nuit du 16 au 17 juin – 799 milles au compteur, reste environ 485 milles
Position à minuit: 17°58’98 S – 165°24’99 W
Position à quatre heures: 17°59’34 S – 65°49’85 W
Soit 23 milles de parcouru

Voilà plus de la moitié du parcours effectuée, et c’est à ce moment que le décompte des milles restants est réjouissant. Viramundo est brave, mais ce n’est pas une fusée, même pas un avion, le compte à rebours est lent, très lent, millimètres par millimètres sur la carte. Il se gagne au fil des flots, au gré de l’humeur météo et des « proprios».
Ben, justement, question « flots » et « météo »….
Cette nuit, la mer est plutôt agréable, légèrement ondoyante et une houle confortable nous pousse. Du côté du ciel, une clarté extraordinaire permet d’y voir presque mieux que cet après-midi où le noir du ciel dominait, le soleil était absent, caché derrière une grisaille épouvantable. La pleine Lune, dans un ciel dégagé de toute nébulosité, comme ce soir, est un réel cadeau! Elle apporte plus que sa lumière, un véritable baume au cœur! Et ce n’est pas rien à ce moment du voyage! En effet, l’humeur du ou de la « proprio » ressent nettement les effets de la mi-parcours, manque de sommeil, fatigue musculaire, tension nerveuse…etc. On a envie que cela s’arrête pour poser son corps sans qu’il soit secoué et pour reposer sa tête sans qu’elle se pose mille questions.
Eh,eh! En une heure de temps, j’ai gagné 6 milles! Onze kilomètres de moins à parcourir!
Merci Viramundo! Bon, Il en reste tout de même encore 888! Soit encore au moins quatre à cinq nuits! Juste le temps que la Lune décroisse!
Le plus encourageant reste de regarder les cartes marines électroniques. Rien que le fait de pouvoir voir notre position et le point d’arrivée sur l’ écran à une grande échelle, c’est moralement très positif. Et, plus on avance, plus on peut grandir l’échelle! C’est là que tu dézoomes juste pour voir la trace du chemin déjà parcouru! C’est là aussi, que tu vois à quel point on est minuscule et que l’on s’approche du but à vitesse humaine! Pas comme une fusée, ni comme un avion! Juste une petite fourmi! Même pas! Une fourmi, ça va vite! Cela demande de la patience….parfois, difficile à trouver…, de l’énergie….à ne pas laisser s’épuiser, et de l’enthousiasme ….à garder malgré les nombreuses difficultés.
Une chose est certaine , c’est beaucoup moins facile que de prendre l’avion! D’ailleurs, Jean-Louis Étienne exprime tellement bien cette lenteur à l’approche d’une terre par la mer.
« Les îles n’adoptent jamais vraiment que ceux qui arrivent par la mer. Elles doivent être approchées avec lenteur et respect, en un magnifique et lent abordage. Entre les bateaux et les îles, il y a un lien de famille, ils ont la mer en commun . Et ce n’est pas rien! »

Septième nuit
Nuit du 17 au 18 juin – 952 milles au compteur, reste 336 milles à parcourir
Position à minuit: 18°11’32 S – 168°03’21 W
Position à quatre heures: 18°08’95 S – 168°28’ 39 W
Soit 24 milles de parcouru

On approche, on approche!
Et , depuis quelques heures, les conditions sont très bonnes, un vent juste assez fort pour nous pousser à une vitesse honorable, une mer houleuse relativement confortable et du soleil, le jour, ou de la Pleine Lune , la nuit! En tout cas, de la lumière! Extra!
Il faut dire que, sur cette immense Pacifique, aucune rencontre, aucun bateau, aucune bestiole…ou presque….un pauvre calamar aux magnifiques yeux globuleux tout bleus s’est crashé tristement sur le pont!
Uniques, incroyables, ces moments de mer!
Et cette nuit, grâce à Viramundo, j’apprécie de traverser cet environnement particulier, minéral et vraiment superbe.
Comment expliquer ces instants magiques et uniques? Comment exprimer ce sentiment de plénitude ? Quelle chance incroyable de parcourir cette nature sauvage, de respirer cette pureté légèrement iodée, d’écouter le frémissement de l’écume, de passer sous la pleine Lune, de contempler le spectacle scintillant des planètes et les dessins que forment les constellations, telle la Croix du Sud toujours présente….
Je me tais, je regarde, je ressens, j’enregistre…..mais…
Juste un tout petit quart d’heure, juste le temps de voir ce ciel constellé d’astres, juste un court moment de véritable mer sur Viramundo, juste écouter les bruits et respirer les embruns, j’aimerais être une fée et inviter mes petits enfants à bord afin de partager ce privilège. Certaine que cela leur plairait d’être réveillés en pleine nuit, au beau milieu de l’Océan, de se faire balloter au gré des vagues et de regarder couchés sur la banquette les nombreuses étoiles en sirotant un mini verre de coca interdit…. juste un tout petit quart d’heure….juste le temps de vivre hors du temps….
Mais voilà! Je ne suis pas une fée!
Alors, à mon retour sur terre, j’essayerai de leur raconter au mieux ces nuits particulières et exceptionnelles, et de leur décrire ou même de leur dessiner Viramundo sous ces ciels magiques et cette Lune parfaitement ronde.
Moment éphémère….
…. car, si j’étais vraiment une fée, en ce moment, je ferais bien sûr souffler un vent régulier du Sud Est, d’une quinzaine de noeuds afin d’améliorer notre cap désastreux!
Moment éphémère…
…les nuages ont envahi le ciel, caché le tableau idyllique et volé la place du rêve!

Huitième nuit
Nuit du 18 au 20 juin – 1’111 milles au compteur, reste 179 milles à parcourir
Position à minuit: 18°21’11 S – 170°47’53 W
Position à quatre heures: 18°22’77 S – 171°06’74 W
Soit 18 milles de parcouru

Cela n’arrive pas tous les jours que l’on puisse en effacer un du calendrier! Nous avons accéléré le temps de 24 heures!
Eh oui, changement d’horaires oblige….les Tonga sont UTC+ 13 ou – 11 heures par rapport à Genève, donc hier après-midi, à 15 heures, nous avons passé du mardi 18 juin, 15 heures, au mercredi 19 juin 15 heures…pour être à l’heure des Tonga et, comme on était toujours à l’heure de Tahiti…..oh, la, la, quelle salade! Bref! Cette nuit est la nuit du 18 au 20 juin et reste la huitième nuit de mer de cette traversée.
Le rythme est pris et les rituels de chaque heure du jour et de la nuit sont bien établis. Du coup, on ne voit pas passer le temps! Et , en plus, on saute un jour! En revanche, nos milles, on les fait! Et on les sent bien tous, les uns après les autres! Au gré des vents, nous gagnons plus ou moins du terrain… Au gré des mouvements de Viramundo, nous perdons plus ou moins d’énergie… Il y a maintenant huit jours et huit nuits que l’on se fait ballotter, secouer, renverser, rouler sur nos deux coques…certes avec plus ou moins d’égards, mais tout de même! Nous ne marchons jamais normalement, soit avec les jambes écartées pour garder son centre de gravité, soit en accélérant les pas pour vite se tenir à quelque chose, soit en trébuchant, car une secousse nous a déséquilibrés… Egalement en position assise, nos fessiers se tortillent, se font masser, roulent sur le siège qui devient un vrai agrès de gymnastique. Et quand cela bouge moins, cela trépigne et balance. Alors, les occupations quotidiennes, toilette, ménage, loisirs, demandent de l’énergie. Et sur la durée, on fatigue! Il n’y a guère que sur la couchette que l’on peut récupérer….et ce temps de récupération est bref ! Hein, captain?
C’est bête à dire, mais ce qui manque sur la mer, c’est le lien avec la terre, c’est de pouvoir pomper un peu de force dans le sol…. et notre sol à nous ….est en suspension! Cherchez l’erreur! Notre énergie, c’est dans le mental qu’il faut aller la trouver, et non dans le sol! N’empêche que je ressens nettement la fatigue,partout dans les membres! Une drôle d’impression d’avoir des jambes et des bras en tissu…tout mou! Comme un fardeau à tirer!
Et, cette nuit, l’horizon est bien noir. Le ciel orageux nous offre un show à éclairs, et un vent capricieux, variable en force et en direction. Au diable la fatigue! Je winche, je tire sur les bouts, je rentre, je sors en titubant, en m’accrochant pour essayer de régler les voiles avec ce vent qui tourne comme il veut!
Aïe,aïe,aïe, ces manœuvres ont fini par réveiller le captain. Bruit? Décalage horaire?
Imperturbable, la Lune, elle, nous éclaire bravement avec ou sans nuages. Ça, c’est une sacrée source d’énergie !

Neuvième nuit
Nuit du 20 au 21 juin – 1’254 milles au compteur, reste environ 40 milles à parcourir
Position à minuit: 18°30’10 S – 173°17’51 W
Position à quatre heures: 18°30’17 S – 173°38’69 W
Soit 20 milles de parcouru

La neuvième nuit, normalement, c’est la dernière de cette traversée qui n’est pas du tout notre préférée…pour des raisons, surtout, météorologiques …
Il est minuit, et, il commence à avoir moins de vent, à savoir entre 20 et 26 noeuds au lieu de 30 et plus! L’alizé se montre plutôt costaud et l’océan, lui, soulève des tonnes d’eau en une forte houle alliée à de belles vagues. Viramundo, non seulement, il surfe, il se laisse emporter fougueusement et soulever comme un joujou, mais aussi, il prend des claques terribles par l’arrière et dessous la nacelle, impressionnant!
D’ailleurs, il navigue avec trois ris, la grand voile est ridiculement réduite et, pourtant, nous avançons jusqu’à six, voire sept noeuds !!! Tellement trop vite que notre ETA ( heure d’arrivée prévue) à Neiafu, Vava’u, est prévu un peu trop tôt …. Il est bientôt une heure du matin. La Lune est haute et lumineuse, des étoiles magnifiques scintillent. Viramundo caracole inlassablement sur les vagues à peine assagies. C’est très remuant, il est encore impossible de marcher « droit » et, le cockpit est horriblement poisseux tellement qu’il a été arrosé par les embruns et les éclats de vagues.
Et dire que demain, PEUT-ÊTRE , à cette même heure, nous dormirons paisiblement au calme sur une eau plate, amarrés à une bouée!!! Il faut y croire!!! Au calme….. Les mouvements fatiguent, certes, mais la gamme de bruits insolites, constants, et, parfois, violents selon la force du vent tuent les oreilles!
Il y a la sempiternelle mousse de la lessiveuse qui fait un crescendo lorsque l’eau passe sous les coques, c’est le refrain, cela veut dire que l’on avance!
Il y a aussi tous les craquements de la structure de la menuiserie intérieure comme une sorte d’écho, cela se répond d’un côté à un autre dans le carré. C’est Viramundo qui se tortille!
De temps en temps, un bruit de vaisselle ou de services de cuisine rythment les grincements. La bôme qui porte la grand voile se plaint régulièrement en couinant quand la vitesse de Viramundo baisse légèrement, puis se calme quand elle est bien pressée par le vent. Tout cela, c’est quand c’est « normal », ce n’est jamais silencieux bien qu’aucune présence humaine ou animalière ne vienne interférer. Déjà à ce niveau sonore, cela fait du bien de mettre des écouteurs et de se laisser emporter par une musique douce!
Et, hier soir, les décibels sont montés d’un cran…au moins! Outre que les bruits normaux soient intensifiés par la force augmentée du vent, l’océan dans tous ses états a aussi intensifié sa production de mousse et s’est soulevé à un point que chacune de ses lames..ou presque… venait gifler violemment autant l’extérieur que l’intérieur de chacune des coques. Des pétards explosaient soudainement à nous faire sursauter.
A chaque fois, Viramundo ébranlé vibrait, le plancher du carré donnait l’impression de se soulever dans un fracas épouvantable…. On aurait dit un champ de bataille. Impossible de fermer l’œil!
A chaque pétarade, à chaque tremblement, j’étais aux aguets!
Pendant que le vent qui sifflait sa puissance dans le mât, Viramundo, lui, laissait entendre ses plaintes, mais il a poursuivi bravement sa route dans le terrain tourmenté!
C’est pourquoi, pendant ces derniers instants des quarts de nuit BoraBora- Tonga, je me réjouis d’entendre le bruit d’une voiture, d’écouter parler le tongan ou d’être réveillée par le cri des coqs de l’île au petit jour…s’il y en a!

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