Nuku Hiva – Fakarava
Soit plus de 530 milles



Première nuit
Nuit du mardi 30 octobre au mercredi 31 octobre 2018


Position à minuit: 10°21’98 Sud – 141°18’58 Ouest
Position à 4 heures: 10°44’20 Sud- 141°35’12 Ouest
Soit 27 milles de parcouru

Le corps a une sacrée mémoire!
Comme s’il n’y avait pas eu de pause terrestre, les mêmes sensations, les mêmes angoisses et les mêmes gestes qu’il y a six mois reviennent instantanément.
Cette nuit est superbe. Elle commence sans Lune, mais constellée d’étoiles, puis à minuit quinze, une demie Lune apparaît après avoir annoncé sa venue en diffusant une lueur bienveillante. Très beau! Chaleureux! Presque paisible!
Les bruits familiers réveillent les oreilles ….la mousse qui bouillonne dans les jupes, le gréement qui couine à cause des mouvements de l’océan, les claquements des vagues contre la coque….
Malgré son long séjour à terre, Viramundo n’a pas perdu ni sa fougue, ni son enthousiasme, il se dandine plus ou moins souplement au gré des creux des vagues. Et la route est cabossée cette nuit. Du coup, nos corps encaissent les secousses et compensent comme ils peuvent, comme ils savent….du vécu!
Et cette espèce de noeud dans le ventre qui reste le temps du quart, voire le temps de la traversée. On n’est sûr de rien sur l’eau, tout peut arriver du moment que l’on a levé l’ancre! Il faut s’attendre à tout!
Alors, c’est un exercice continuel que d’essayer de prendre ce qui vient de manière sereine, un art que de rester « philosophe », que de savoir égrener les minutes sans se poser de questions ….ou plutôt en se posant les bonnes questions.
Seule aux commandes, je suis à l’écoute de tous les bruits, des mouvements bizarres, je regarde le ciel à la recherche de nuages inquiétants, du moindre changement météo ….je scrute l’horizon, les écrans des instruments et de l’ordinateur….pour le moment …tout va bien!
Je crains, pourtant, l’impermanence des conditions….
Bon! Ce n’est pas la mer à boire cette petite traversée de 500 milles!
Et quelle chance de vivre ces moments incroyables et uniques!
Déjà le fait d’être seule avec soi- même, d’être seule à vivre ces sensations, d’être seule en communion …autant que possible …avec l’environnement… c’est exceptionnel!
Aucun bateau ne croise notre route. Le Pacifique est vraiment énorme!
Et nous, tellement petits! Tellement vulnérables!
Alors, merci à toi l’Océan de nous porter sur ton dos ainsi!
Malgré le souci, l’angoisse, j’aime cette communion nocturne et je m’efforce de vivre cela en un énorme privilège.
Heureusement, les conditions sont presque parfaites, car la première nuit en mer n’est pas la plus facile!

Deuxième nuit
Nuit du mercredi 31 octobre au jeudi 1 novembre


Position à minuit: 12°01’64 Sud – 142°34’11 Ouest
Position à quatre heures: oups….non noté

Soit 20 milles de parcouru

Tellement calme qu’à mon réveil, à 23 heures 30, j’étais certaine d’être au mouillage! Nous sommes donc vraiment sur le Pacifique!
Seulement voilà, nous n’avançons plus très vite. Il y a moins de 10 noeuds de vent arrière, alors, sans l’aide d’un moteur, nous nous traînerions à 3 noeuds.

C’est la nuit d’Halloween!
Mon déguisement est simple: tongs, short et top!
Mon décor est féerique….
Avec un léger balancement, Viramundo glisse sur le grand disque de l’eau noire, obscure, légèrement bruissante, sous une voûte céleste piquée de milliards d’étoiles qui profitent de briller avant l’arrivée du croissant de Lune.

L’atmosphère du lieu…..
Des bruits réguliers et étrangers traversent le décor….
Derrière les jupes des coques, les remous de l’eau bouillonnent telle une marmite de spaghettis surchauffée, les structures de la porte du cockpit craquent, couinent …leur raideur souffre avec le tortillement de Viramundo, la bôme de la grand voile grince et essaie de se délivrer de ses écoutes qui la retiennent prisonnière, le ronflement du moteur tribord …ou d’un dragon des eaux…crache son liquide de refroidissement en un splasch régulier.
Soudain, sans crier gare, une modeste citrouille orange, lumineuse, voilée de brumes apparaît lentement et sort des entrailles de l’horizon. Elle monte dans le ciel et perd de son éclat comme si elle voulait rester discrète, d’ailleurs, elle profite du seul nuage noir pour se glisser derrière son manteau et, ainsi assombrir la scène en laissant échapper un souffle d’air…
Avec un brin d’imagination, je vois arriver des sorcières rigolotes sur leur balai qui circulent entre les étoiles et distribuent des bonbons salés aux esprits de la mer, j’observe les lutins écailleux des eaux secouant leur tapis tout autour de Viramundo ….. et j’entends le chant des sirènes hululer, se propager sur les ondes et envoûter les marins…
Heureusement que le captain dort!
Le dragon des airs vient troubler la fête, il crache son souffle dans les voiles, alors qu’elles ne sont pas préparées à le recevoir et que le moteur n’a pas dit son dernier mot. Merci tout de même Dragon, tu nous as fait gagner quelques noeuds même si ce n’est pas tout à fait au bon Cap!
Petit joueur, il s’essouffle trop vite!

C’est bien la première fois que je « fête » Halloween!

Troisième nuit
Nuit du jeudi 1 novembre au vendredi 2 novembre


Position à minuit: 13°39’51 Sud- 143°52’39 Ouest
Position à 4 heures: 13°54’77 Sud – 144°03’74 Ouest
Soit 20 milles de parcouru

C’est dur d’émerger dans le monde de la nuit…je dormais trop bien!
Bercée par le ronflement du moteur et par le doux balancement de Viramundo, j’étais plongée dans un sommeil bien profond quand la sonnerie du réveil est venue briser ce bien- être.
La chance, c’est que les conditions de vent de cette traversée sont assez clémentes et que les mouvements de Viramundo sont plutôt doux. Les températures de l’air relèvent de l’idéal….alors, « gémir n’est plus de mise… »

Pourtant cela reste continuellement un terrain mal plat, le bateau, même le catamaran!

Et depuis le départ d’Hiva Oa, le 15 octobre, notre corps est en « suspension » ou en « flottabilité », mis à part les escales à terre, évidemment, jamais assez longues. Cela fait donc un bien énorme que de se laisser aller couché, assoupi ou carrément endormi. Excellente récupération!
Sinon, à bord, le choix est vite fait, soit on est debout à marcher comme un ivrogne….fatiguant à longueur de journée et de nuit, soit assis sur différents sièges plus ou moins confortables….d’ailleurs, j’ai terriblement mal aux fessiers depuis quelques jours….
Tout cela pour dire que mon lever de 23 heures 30 a été particulièrement difficile ce soir!
La meilleure motivation, c’est de retrouver Cricri qui veille et de lui permettre d’aller à son tour s’étendre et récupérer de cette même fatigue corporelle.
La deuxième récompense, c’est de vivre une nuit à la « belle étoile »!
Et cette nuit, ce n’est pas qu’une expression!
Les belles étoiles sont bien là !
Tellement qu’il y en a que le ciel en devient blanchi!
Sur ce fond noir laiteux, les constellations et les planètes ont un piqué lumineux bien net et bien brillant, c’est unique et féerique!
En revanche, la Lune décroissante tarde à poindre. Tant pis!
Je vais rester à l’attendre…. debout, assis, en mouvements, en méditant…
A 2 heures 03 exactement, à l’Est, apparaît un point orange qui grossit rapidement jusqu’à devenir cette forme absolument parfaite de croissant.
Cet orangé pâlit sensiblement plus la Lune s’élève dans le ciel.
Son éclat parvient à diffuser une clarté bienvenue sur le plan d’eau, mais à éteindre les étoiles proches d’elle. Demain, il faudra attendre 3 heures du matin avant de voir poindre un mini croissant…..
Que c’est beau, l’océan, la nuit!
Ça valait le coup de s’extraire de son sommeil!

Ce qui ne va sûrement pas être l’opinion du captain….
En effet, à 3 heures 30, le vent monte et persiste. La grand voile, même à un ris, est puissante. Je fais ce que je peux faire toute seule…je lâche un peu d’écoute au vent, je reprends sous le vent…mais Ecole continue son souffle musclé. Je regarde à l’avant, le ciel n’est pas net, il est même assez encombré. J’hésite, j’attends, la situation ne change pas. Alors, je suis vraiment navrée, mais je me décide …
Je réveille le captain une demie heure avant la fin de son quart! Horreur!
Pauvre captain! Lui aussi a besoin de se reposer!
Ça valait quand même le coup de l’extraire de son sommeil….un gros grain vu au radar se prépare à l’avant.
Nous prenons le deuxième ris; et, pour le faire, à deux c’est mieux!
Nous réglons les voiles et nous traversons la perturbation.
Je reste veiller un peu avec le captain….une pluie fine tombe, le vent est sage.
J’ai réveillé le captain …pour pas grand chose! Horreur!
Vraiment désolée, captain de mon cœur!

Quatrième nuit
Nuit du 2 novembre au 3 novembre


Position à minuit: 15°19’34 Sud – 145°06’17 Ouest – Archipel des Tuamotus
Position à 4 heures: 15° 34’73 Sud – 145° 19’03 Ouest
Soit 20 milles de parcouru

L’arrivée! L’atterrissage…
Cela devrait être réjouissant ….se poser à l’horizontal, passer une nuit complète sans quart, ne plus avoir les yeux rivés sur les écrans, sur la météo…
En plus, qui ne rêverait pas d’atterrir aux Tuamotus?
Les lagons bleus turquoises, les plages de sable blanc, les cocotiers, les snorkelings colorés…le poster de rêve! Image de catalogue!
Et pourtant!
Comme tout autre île, et peut-être plus encore…cela se mérite, c’est pas gagné!
Et, dans cet archipel, cela a l’air particulièrement corsé!
En temps normal, pour aborder un atoll, la navigation demande une grande vigilance. Entrer dans un lagon ne se fait qu’à l’étale de la marée, puis, souvent, les yeux servent de radar pour éviter les patates de corail. Seulement, la lumière doit être bonne, donc, le soleil doit être plus ou moins à la verticale et, pas contre nous….avec un temps gris, pluvieux…faut oublier.
Et le plus comique, c’est que depuis que l’on s’est rapproché de ces îles paradisiaques, le temps est justement pluvieux, très grisouille!
Le radar tourne et nous signale l’ampleur et la direction d’un grain….les hublots sont clos…au vent, cette nuit, la fraîcheur est manifeste…
Il est une heure du matin, il reste à peine plus de 50 milles, pourrons- nous entrer dans le lagon de Fakarava à la haute mer de midi, dans ces conditions de lumière?
Comme sur les images de catalogue, naviguer sous un soleil resplendissant, sur une eau turquoise….???
Je suis à la table à cartes. Viramundo vibre, réagit fébrilement à cette mer houleuse et agitée, il bouge sèchement et constamment….pas très confortable. Il avance sur un terrain noir de chez noir.
A l’extérieur, seulement quelques étoiles se laissent apercevoir entre des zones nuageuses dans un ciel laiteux, opaque, bien sombre. Le pont est encore trempé et glissant après la dernière bruine.
Il faut y croire aux Tuamotus!
Seules les cartes de navigation nous montrent les auréoles de corail des atolls!
Vivement le jour!
C’est fou l’importance de la météo sur le moral!
Pourquoi la lumière du soleil ou de la Lune nous donne tant de force et de vitalité?
Bon….après une telle question, je n’ai plus le droit de « gémir »!
Il y en a qui sont dans le brouillard, le froid, en train d’aller au boulot, se réchauffant avec un café et ….en rêvant aux îles.
Alors, je vais puiser dans ma lumière intérieure et vivre lumineusement ces moments de doute dans cette nuit sombre et particulière, particulièrement unique!
Il est plus de 2 heures du matin, un grain vient de nous prendre par tribord, la pluie tombe drue dans le noir….eh, j’ai perdu la page du catalogue « Visitez les îles du Paradis»!
Vivement le jour…même pluvieux.

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